Inauguration de la place Pablo Neruda à Grabels

Mardi 19 novembre 2013, à 18h

Inauguration de la place Pablo Neruda à Grabels (Quartier de la Valsière)

Discours-poème prononcé à cette occasion par Christophe Corp sur la nouvelle place du marché qui porte désormais le nom du poète chilien (prix Nobel de littérature en 1971), décédé il y a quarante ans, le 23 septembre 1973.

 

Pablo

Neruda

Toi le poète

Toi l’humble chilien

Toi qui nous as quittés le 23 septembre 1973

Pablo

Toi le Neftali des Rois

Tu sais la nuit des réverbères brisés

Nuit froide de cristal sur les fenêtres de la liberté

Lorsque la haine s’écrivait en franquiste sur les murs

Lorsque la trahison s’épelait en Pinochet

 

Mais tu sais aussi la saveur du congre

Dans la grande soupe du poème

Lorsque le frère a faim

Lorsque le frère monte dans la mémoire oxydée du Machu Picchu pour renaître avec toi

Tu sais la saveur de l’Ode élémentaire

Qui augure de notre goût dans le poème

Sorte de cuisine deltheillienne des Amériques à image

Qui fait la robe « mouchetée du congre fraîchement dépecé »

« Céder tel un gant » sous la métaphore

Renaître  ailleurs « grappe de mer » dans le plat

Lorsque « le congre tendre et nu, enfin prêt, reluit pour notre appétit »

Pour que « les essences du Chili », « les saveurs de la terre et de la mer

Comme de nouveaux mariés parviennent jusqu’à la table

Et que par ce plat [l’on] connaisse le Ciel »

Tu sais la saveur du congre

Mais aussi « l’ivoire fin et délicat de la pomme de terre » au milieu des guerres

Et l’« irascible fragrance » d’ivoire de l’ail

L’ail, génie du soleil si cher à Delteil

L’ail qui  pour toi tombe

sur l’oignon féminin des Espagne

Et la tomate masculine des Amériques

Tomates ailleurs « répétées »  de Madrid  « jusqu’à la mer ».

 

Tu sais la saveur du congre

Mais aussi l’île de saveur des artichauts

Ceux si chers au palais de Delteil, petits verts de Perpignan ou d’ailleurs

Qui ruissèlent de vert bleuté au cœur de tes poèmes

Comme cet artichaut que tu nous décris

« habillé en guerrier
bruni
comme une grenade
fier
et un jour
côte à côte
dans les grandes corbeilles
en osier,

en  allé

au marché
pour réaliser son rêve :
le service armé »
cet artichaut qui « en rangs, jamais ne fut si martial qu’à la foire »

Au marché où « les hommes
en chemises blanches
au milieu des légumes
étaient
maréchaux
des artichauts,
rangs serrés
ordres criés
et la détonation d’un cageot qui tombe »

Artichaut « guerrier » jusqu’à l’arrivée de la belle Maria « avec son panier »
la belle Maria qui « choisit
sans peur
un artichaut ;
l’examine, l’observe
à contre-jour comme si c’était un œuf
l’achète,
le mêle
dans son sac
à une paire de chaussures
un chou pommé

une bouteille de vinaigre,
et une fois dans sa cuisine,  l’immerge dans la marmite. »

« C’est ainsi que se termine
en paix
la carrière
du végétal armé
que l’on nomme artichaut ;
puis, écaille après écaille
nous dévêtons
le délice
et de son cœur vert

mangeons
la pâte pacifique. »

Au cœur du poème, tu ravives le cœur vert de l’artichaut, toi le grand Pablo des Amériques et de l’élément,  comme tu ravives au seuil des mémoires l’innocence perdue des pommes. Tu fais des pommes dans lesquelles on croque et que l’on vend (en circuits courts et de préférence bio) sur tous les marchés du monde, de celle de la mythologie, la fameuse « pomme des désaccords » comme tu la nommes, celle mythique d’Aphrodite lors du jugement de Paris, un quotidien poétique de l’âme.

 

Toi, l’ami invétéré de l’élément vital

Tu nous enseignes

Que « nous avons encore quelque chose de la pomme»

Et « Quand nous mordons

Dans [sa] ronde innocence

[que]nous redevenons

pour un instant

des nouveau-nés »

 

Toi qui fus Consul du Chili quand la guerre d’Espagne mit le feu à Madrid, tu fais de la pomme une république, de la res poetica une res publica, lorsque tu écris cet hymne inouï à la rondeur pacifique de tous les ministères :

« Moi, je veux

une abondance

complète

la multiplication

de ta famille

je veux

une cité

une république

un Mississipi

de pommes

et sur ses rives

je veux voir

toute

population

du monde

unie, réunie

dans l’acte le plus simple de la terre :

mordre dans une pomme. »

 

Dans ton paradis de l’élément simple

Le poème est un marché

Dans ton paradis pour une pomme

Ta perruche  (celle avec laquelle on t’a photographié) est le mainate de Delteil

Le mainate de Delteil (celui avec lequel on l’a photographié) est  ta perruche

Quelque part ici sur ces coteaux à vignes

De la Valsière son Val paradis à lui

Ton Valparaíso à toi y pousse déjà

Sa « proue rafistolée de navire valeureux »

Verte épée translucide de la Poésie

Charrue qui féconde déjà la terre

Comme la folle proue d’un « port fou » venu en Paléolithie

Car ici « impossible n’est pas fou ! », « ce que tu as rêvé, fais-le ! »

 

Le rêve à l’œuvre marche ici en nous d’un pied ferme

La verte conscience de nos convictions

Et l’intelligence ont ouvert le sillon puissant

Et par l’alchimie poétique du politique à l’œuvre

Nous avons voulu que cette place scelle la vertu des marchés

Sans jamais oublier que la poésie parle la langue secrète des éléments du Quotidien.

 

C’est pourquoi

Face à la grisaille du Quotidien

Toi Pablo

Toi le roi, toi le Neftali qui dépoussières la statue du réel figée dans le tombeau de l’habitude

Tu nous exhortes à la vie, au bonheur, au rêve.

Face à la grisaille du Quotidien

A sa face ridée de vieille poupée

Tu cries

la jeunesse et la vie

Depuis l’épine dorsale de ton Chili

Tu cries

L’action

Tu cries

Que marche en nous les rêves de l’action

Que marche en nous l’ailleurs du muscle éthique

Que marche en nous la conscience du frère qui a froid

Que marche en nous la saveur précieuse de l’oignon sur l’étal sans misère

Que marche en nous la conscience de ce que fut, de ce qu’est et sera la poésie qui féconde le monde

Poétique œuvrant au politique

Que marchent en nous la poésie et la politique la main dans la main

Toi qui prononces ceci lors de ton discours de réception du Prix Nobel en 1971 :

« Il meurt lentement celui qui devient esclave de l’habitude refaisant tous les jours les mêmes chemins, celui qui ne se risque jamais à porter une nouvelle couleur ou qui ne parle jamais à un inconnu.

Il meurt lentement (…) celui qui ne prend pas de risques pour réaliser ses rêves, celui qui, pas une seule fois dans sa vie, n’a fui les conseils sensés.

Il meurt lentement celui qui ne voyage pas, celui qui ne lit pas, celui qui n’écoute pas de musique, celui qui ne sait pas trouver grâce à ses yeux.

Il meurt lentement celui qui détruit son amour-propre, celui qui ne se laisse jamais aider, celui qui passe des jours à se lamenter de sa propre malchance ou de la pluie incessante.

Il meurt lentement celui qui abandonne un projet avant de l’avoir commencé, celui qui ne pose pas de questions sur les sujets qu’il ne connaît pas, celui qui ne répond pas quand on lui demande quelque chose qu’il connaît.

Nous évitons la mort, à petites doses, en nous souvenant sans cesse qu’être vivant est un effort qui va bien au-delà du simple fait de respirer.

Vivez maintenant. Risquez-vous aujourd’hui. Agissez tout de suite.
Ne vous laissez pas mourir lentement. Ne vous privez pas d’être heureux. »

 

Aussi

Depuis les collines mouillées de ce val de Delteil à Grabels

Mouillées comme tu les aimais toi dont le « personnage inoubliable » de la pluie rythmait ton enfance dans le sud infiniment pluvieux du Chili

Emules de ton exhortation de Prix Nobel

En ce jour pluvieux

Nous créons le soleil

Le soleil du Quotidien à l’œuvre

Et dans le soleil de l’action

Nous t’accueillons en cette place

Et de notre action en marche

Nous osons

Frères humains de ton hymne à l’audace

Osons

Vivre

Osons

Porter les nouvelles couleurs de notre futur

Osons

Ouvrir de nouveaux chemins

Osons

Persévérer dans notre effort

« effort qui va bien au-delà du fait de respirer »

Osons encore et toujours

Faire du quotidien en larme de pluie le fleuve humain des volontés à l’œuvre.

….

(Poème après minute 11:00)

 


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