L’angle insolite d’un tram – Grand angle sur les photographies de Joëlle Colomar

 

L’angle insolite d’un tram

Grand angle sur les photographies de Joëlle Colomar

 

                                                                   par Christophe Corp

 

 

Nez à nez - 2012 - Joëlle Colomar http://joellecolomar.eklablog.com/

Nez à nez – 2012 – Joëlle Colomar http://joellecolomar.eklablog.com/

L’angle de vue par lequel la photographe Joelle Colomar

aborde le réel est toujours un angle insolite, fait de

coïncidences, coïncidences de matières que le réel associe sans

prévenir, pour la plus poétique des alchimies visuelles : c’est

ainsi que, par exemple dans la photographie Poisson-accordéon,

les soufflets reliant un wagon de tramway à un autre, joue de

leurs creux avec les pleins lisses de la surface du poisson

revêtu de pierreries par Christian Lacroix (ligne 3).

Le noir

vivifiant des césures y renforce de sa non-couleur la grande

symphonie chromatique, l’oeil photographique de l’artiste

faisant sienne la grande leçon de Kandinsky sur les effets

visuels du noir sur les autres couleurs. La chanson que fait

jouer cet accordéon au poisson est celle de la partition de

l’insolite urbain saisi à la source d’un regard.

        L’insolite y prend goût, dans les réalisations de Joëlle

Colomar, comme dans cet instantané de machine Nez à nez,

dans lequel les trams de la ligne 3, de leurs beaux museaux

endimanchés esquissent pour un instant des épousailles

urbaines. L’insolite y est affaire d’angle : tramway réduit à sa

plume en en haut, celle dessinée par Christian Lacroix et

isolée dans De plume et de tram, tramway aux Fleurs sous haute

surveillance, tramways vus du ciel dans Abstrac’tram…, autant

de créations photographiques pour redécouvrir « le tramway

de Montpeul », le voir autrement. Ce regard neuf nous fait

plus que jamais prendre conscience que l’art commence avec

le rêve qui peuple notre quotidien et que l’artiste débusque au

gré d’une alchimie visuelle.

Abstrac'tram - 2012 - Joëlle Colomar http://joellecolomar.eklablog.com/

                                Abstrac’tram – 2012 – Joëlle Colomar http://joellecolomar.eklablog.com/

     Fuyant pour ainsi l’humain – comme si, à l’instar de l’art

musulman, le visage humain ne devait être figuré c’est-à-dire

photographié – l’art de Joëlle Colomar traque l’abstrait à

l’oeuvre dans le réel : trois tramways saisis de haut, depuis un

balcon préalablement repéré, composent une toile abstraite

dont les couleurs sillonnent de leur énergie visuelle en

diagonale l’oeuvre Abstrac’tram. L’impossibilité de photographier

le visage humain sans obligation d’autorisation de la

part de la personne prise en photo, du fait de la législation en

matière d’image, constitue une sorte d’interdit qu’intègre le

regard de Joëlle Colomar, un interdit qui l’oblige à sublimer,

autrement dit, à partir sur d’autres chemins, ceux de l’insolite,

du poétique et de l’alchimie de l’urbain. C’est ainsi que

l’humain dans ce monde photographié, s’y aperçoit plus qu’il

ne s’y voit précisément ; cette contrainte y façonne un art du

suggéré et de l’aperçu ou très souvent de l’entr’aperçu,

comme dans les photographies A bras raccourcis ou Au miroir

du tram, séquences d’humain cultivant l’art du métonymique,

dans lequel un détail vaut aisément pour un tout, comme ce

bras agrippé à une barre et dont l’expression de la main se

peuple de toutes les significations du possible. L’abstrait à

l’oeuvre dans le réel est débusqué dans Intersection : à la

croisée des rails et au gré du pavement naît une géométrie

avide de tranchant et de perfection, cependant qu’une ombre

inquiétante laisse planer le mystère d’un inexplicable sur ce

monde presque parfait.

           Au gré de l’insolite et de l’abstrait, la quête s’attache aux

transparences : traces floues de saleté, floutant les vitres du

tram dans Profondeurs de la transparence et ce faisant créant une

impression de vitesse, rame translucide de la ligne dorée,

ouvrant ses portes sur les soufflets de l’accordéon-poisson de

la ligne 3, dans Dorures pour un vert-amande, labyrinthes

visuels inextricables de reflets comme ceux de la

photographie Peyrou, fils du Soleil, sorte de strates empilés du

millefeuilles à voir.

Entre ciel et tram- 2012 - Joëlle Colomar http://joellecolomar.eklablog.com/

                  Entre ciel et tram- 2012 – Joëlle Colomar http://joellecolomar.eklablog.com/

L’inquiétude du réel sans cesse à l’oeuvre des

surgissements ou jaillissements d’insolite, en adéquation avec

la quête inquiète de l’artiste à l’affût, ne s’attache pas

seulement au miroitement transparent de l’instant tram, elle

s’attache aussi à cette poésie de la décalcomanie auquel se

prête admirablement le mobilier urbain : feston de fioritures

se décalquant sur le paysage urbain de l’avenue de Lodève et

son mur en pierre, dans Décalc’ô tram, art de l’impression

d’arabesques dans Baroque sur-impression ou encore dans

Porteurs d’image sainte, photographie dans laquelle deux

hommes vus de dos, assis sur le banc d’un arrêt de la ligne 4

derrière la vitre, semblent comme saisis dans l’attitude

harassée de deux costaleros, ces fameux porteurs de chars de la

Semaine Sainte, étrangement surmonté d’une décalcomanie

baroque d’arabesques, esquissant le visage d’un presque

Christ. L’étrange habite la quête insolite de la photographe car

il habite le réel pour qui voit ce que d’autres ont cru voir :

c’est ainsi que l’ombre est l’une des proies privilégiées de ce

regard, elle est également le premier artiste urbain de

l’étrange, voire du surnaturel : le tram y est soudain en laisse

grâce à elle dans Pour mes beaux yeux et une ombre attachée, il

devient aussi –chose rare et merveilleusement étrange, le

support visuel du jeu de l’hirondelle blanche et de l’ombre

d’un angelot qui curieusement s’y projette et fait corps avec

l’oiseau, qui serait l’âme yang de l’oiseau yin, sur la robe

mariale d’un tram bleu, égaré au milieu de tant de poésie.

Sur le chemin des ombres et des transparences, la

photographe ne se contente pas seulement de capter la magie

de la robe à poulpe d’un tram à paillettes ou pierreries,

recadrée et par là même restituée dans toute l’écume

chromatique de son jaillissement dans Vingt mille lieues sous le

tram, elle magnifie le réel de l’instant tram qui, sous son

regard, se fait aussi, lui-même, artiste peintre : ici, le soleil

dessine sur le trottoir au pochoir d’un banc, une irrésistible

Dentelle de tram, façon petit baroque ou rococo d’ombre ;

ailleurs, l’hirondelle des transparences sur le sol des fantaisies

urbaines soudain égarée, dans Une hirondelle fait l’automne, n’y

fait plus le printemps mais y fait soudain l’automne sur son

nid de feuilles sèches servant de profondeur au vide

translucide laissé par la vitre ; ailleurs encore, sur la vitre d’un

arrêt de la ligne 1, les transparences dessinent un extravagant

paysage de fier soleil dans la photographie Entre ciel et tram,

sorte de sortilège ou de rébus visuel où il devient très difficile

de discerner le reflet du non-reflet.

Une hirondelle fait l'automne - 2012 - Joëlle Colomar http://joellecolomar.eklablog.com/

Une hirondelle fait l’automne – 2012 – Joëlle Colomar http://joellecolomar.eklablog.com/

Fidèle au devenir de l’instant et attachée à l’art magique du

réel lui-même piégé dans le réduit d’une chambre noire, Joëlle

Colomar, artiste de l’insolite, de l’étrange voire du surnaturel,

a toujours à coeur de ne jamais retoucher ses clichés : seul

parle dans cet art le respect scrupuleux de la magie du réel à

l’oeuvre dans notre quotidien, alchimie visuelle saisie dans le

prisme d’un regard.

Square Planchon, face à la Gare Saint-Roch, un soir de trams, 13 septembre 2012.

Vingt mille lieues sous le Tram - 2012 - Joëlle Colomar http://joellecolomar.eklablog.com/

                Vingt mille lieues sous le Tram – 2012 – Joëlle Colomar http://joellecolomar.eklablog.com/

 

 

 


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